On pourrait, certes, s'y tromper. A cause du style, narratif : «A Tizi Ouzou, on entend le claquement sourd des mitrailleuses ; on s'engage dans la vallée, par une route jonchée, tout du long, de carcasses de voitures carbonisées ; dans la montée vers le col (...) un bonhomme en djellabah, un fusil entre les genoux.» A cause des évocations et des remembrances qui font revivre les êtres chers : «Mon père, fils de métayer devenu, vers la trentaine, c'est-à-dire à peu près au moment de ma naissance, facteur, puis facteur-receveur, a exercé toute sa vie un métier d'employé dans un petit village du Béarn particulièrement reculé. (...) Il dépensait des trésors de gentillesse et de patience, que parfois, plus âgé, je lui reprochais un peu, à aider les plus pauvres à se dépêtrer dans les paperasses qu'ils lui confiaient ("Aquets papès !", disaient-ils), pensions de guerre ou d'invalidité, obligations, mandats, etc., et je me rappelle avoir pleuré plusieurs fois en pensant que son nom, malgré tant de mérites, ne serait pas dans le dictionnaire.» A cause d'un aveu, prononcé sotto voce, sur la «désolation intime du deuil solitaire». On pourrait s'y tromper, donc. Mais «ceci n'est pas une autobiographie».
«Ceci n'est pas une autobiographie». La phrase, dûment signée de Pierre Bourdieu, est placée pleine page, en exergue à Esquisse pour une auto-analyse, et joue comme une clé musicale qui en détermine la lecture. L'Esquisse est le dernier texte de Bourdieu. La rumeur métropolitaine l'avai