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Libération
Critique

L'ivre de la jungle

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Cinq contes enfiévrés ou francophiles de Rudyard Kipling.
publié le 29 janvier 2004 à 22h23

Borges prétendait que les derniers contes de Kipling n'étaient «pas moins labyrinthiques et angoissants que ceux de Kafka et de James». Il pensait qu'ils leur étaient même supérieurs et pour cette raison ne se risqua pas à les égaler lorsqu'il se lança, vers la fin de sa carrière, dans la rédaction d'histoires de gauchos imaginaires rassemblées sous le titre le Rapport de Brodie. Il s'inspirait alors des premiers contes de Kipling, histoires de «soldats typiques» nées en vérité du cerveau enfiévré d'un jeune Anglo-Indien de Lahore dans les années 1880, et dont la plus universelle demeure sans conteste l'Homme qui voulait être roi. L'anecdote est aujourd'hui connue grâce au film de John Huston (qu'Arte a diffusé dimanche dernier), et nous prêtons sans vergogne les visages de Michael Caine et Sean Connery aux protagonistes de cette histoire de folie et de mort. On y atteint les sommets de la première manière de Kipling, celle où le styliste génialement précoce recule les limites de la langue anglaise avec l'insolence d'un explorateur victorien, plantant son drapeau sur une terre tellement reculée qu'elle n'existe sans doute pas... Des cinq morceaux de bravoure réunis par Isabelle Nancy, le plus réputé n'est cependant pas le plus surprenant pour le lecteur peu familier avec l'univers du papa de Mowgli. Certes, Petit Tobrah appartient lui aussi au panel exotique, fable retorse par laquelle l'auteur pastiche à la fois les traductions des Mille et Une Nuits de Burton et la Bible,