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Libération
Critique

Campagnes d'Egypte.

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Quand l'enquête devient littérature. Avec les «Récits de la province égyptienne», Fanny Colonna investit une réalité délaissée par les sciences sociales.
publié le 5 février 2004 à 22h47

«Ce que vous cherchez n'existe pas !» Cette exclamation, Fanny Colonna l'a entendue des dizaines de fois lorsqu'elle exposait son projet. Faut-il être fou pour décider de son propre gré de s'intéresser à la province égyptienne, aller à la rencontre d'individus ayant choisi d'y vivre, les raconter, alors qu'ils avaient la possibilité de «monter» au Caire. Le Caire est un féminin en arabe et son surnom est «la Mère du monde», Oum al-dounia. On ne quitte pas sa mère, c'est elle qui vous abandonne. S'il est un pays plus jacobin, plus centralisateur que la France, c'est bien l'Egypte des pharaons et des bureaucrates.

Pourtant, ce que cherchait Fanny existe bel et bien, il suffisait de se baisser. Comme un trésor qu'elle aurait pêché à l'épuisette. Elle résume d'une jolie formule son projet : «donner à voir et à entendre des gens dont on ne soupçonne même pas l'existence». A l'arrivée, un pavé de 500 pages, un objet littéraire non identifié, un cas unique dans le champ des sciences sociales françaises. Non pas la misère du monde ­ Fanny Colonna a été proche de Bourdieu, un compagnonnage dont l'Algérie n'a pas été le moindre des raisons ­ mais la face cachée du monde. Parce que la province égyptienne, cette glaise dont est pétri l'immuable paysan du Nil, est loin d'être la terre de désolation qu'imaginent volontiers les Cairotes. En choisissant de descendre du train, Fanny Colonna a «découvert» une Atlantide ignorée, ce qu'elle appelle le «cul du Bouddha» (lire ci-contre), le fondem