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Libération
Critique

Clemenceau à son Affaire

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Le futur Tigre fut un dreyfusard fervent et un redoutable polémiste: l'historien Pierre Vidal-Naquet a lu le deuxième tome de ses articles.
par Pierre VIDAL-NAQUET
publié le 5 février 2004 à 22h48

Evoquant dans ses Souvenirs sur l'Affaire (1935) le rôle de Clemenceau dans l'Affaire, Léon Blum se demande comment diable Clemenceau avait pu devenir dreyfusard : «Logiquement, pour suivre sa ligne naturelle, il aurait dû prendre la tête de la résistance, se faire l'apologiste de la raison d'Etat, l'interprète de l'instinct national surexcité. Il aurait dû se hisser au gouvernement dans la bagarre et camper vingt ans plus tôt, en pleine Affaire Dreyfus, le Clemenceau de la guerre.» Comme Léon Blum était un juste, aussitôt après il rappelle que Clemenceau lui aussi avait été «victime [en 1893] d'une erreur judiciaire ; lui aussi, il avait été condamné sur la production d'un bordereau qu'il n'avait pas écrit. Lui aussi, il avait été flétri comme un traître par des faussaires... Venger Dreyfus, n'était-ce pas se venger un peu lui-même ?».

Je crois surtout que la conception que se faisait alors Clemenceau de la République s'opposait à ce qu'on laissât un innocent, illégalement condamné, à l'île du Diable. C'était un homme à principes et un violent. En septembre 1899, au moment de la grâce, il s'insurge : «Dreyfus m'est indifférent, qu'on le coupe en morceaux, qu'on le mange !» Il finira par céder : «Si j'étais le frère, j'accepterais.» C'était alors un homme dans le style de Robespierre : «Périssent les colonies plutôt qu'un principe !»

Son rôle dans l'Affaire fut immense : les articles qu'il a écrits dans l'Aurore forment sept volumes, et voici le second, excellemment édité par