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Libération
Critique

Galerie Binebine.

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Le naufrage parisien d'un grand peintre élevé dans le quartier juif de Marrakech.
publié le 5 février 2004 à 22h47

Un homme, seul sur un banc public peu à peu recouvert de neige, se laisse mourir. L'histoire seule ne serait pas banale. Inspirée de la vie de Jilali Gharbaoui, elle l'est moins encore. Père fondateur, avec Cherkaoui, de la peinture contemporaine marocaine ­ses tableaux s'arrachent aujourd'hui à prix d'or ­, il est mort dans la révolte et le dénuement en 1971 à Paris. «Revisitée» par l'écrivain marocain Mahi Binebine, elle devient tout sauf la énième vie d'un artiste maudit : le roman, hanté par la mort, de la solitude et de l'exil. «Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi moi, Ilias, fils d'Aïcha élevé par Mme Ouaknine, ai-je quitté ma ruelle de Marrakech pour finir sur ce banc de Clichy, le corps ceinturé de bandelettes à l'instar d'une momie échappée de son caveau ? Un passant qui me surprendrait de bon matin à cet endroit, vêtu de mon pyjama ­ une vieillerie en coton à rayures bleues et blanches ­ penserait à un détenu évadé. Et il n'aurait pas tort, car je suis né entre une multitude de barreaux que j'ai vainement essayé de scier ma vie durant.»

Le banc, la neige et une femme, vieille à peine visible mais obstinément présente, vont rythmer le récit en même temps que l'existence d'Ilias, racontée tantôt par ses monologues intérieurs, tantôt par ses conversations avec Priméra, une chatte aux longs poils gris dont il «guette un signe qui lui donnerait l'illusion d'un réconfort». En vain : «Ton silence fait écho au chant de l'amour mort, ton indifférence à celui du vide qui