Philip Roth a dû traverser l'Atlantique à bord d'un cargo lent. Il s'est enfermé dans une cabine, près des machines, pour écrire un grand roman français. A l'arrivée au Havre, le manuscrit était fini. On le publie aujourd'hui sous le nom de Marc Weitzmann, qui a lui-même déjà écrit trois romans. Une place dans le monde décline à la française les obsessions et variations sur la difficulté d'être juif entre 1960 et 2003. Il le fait moins bien que les romans publiés aux Etats-Unis sous le nom de Roth ; mais il ne le fait pas si mal : intelligent, énergique, plein de personnages sauvagement taillés et de «scènes» réussies, il tient le lecteur pendant 200 pages environ. Ensuite, comme presque toujours, le livre se disperse, se brouille : il se prolonge. L'auteur perd les fils de sa narration et de son personnage central, ou plutôt les noie dans un mélange confus et inutile d'autofiction et de réflexion géopolitique : dans cette volonté si souvent déçue d'écrire le roman total, complet comme le pain qu'on abandonne après quelques tranches.
Le personnage central d'Une place dans le monde est le plus excitant. Ce n'est pas le narrateur, Henri Froment, un journaliste-écrivain français juif de 43 ans qui cherche à se connaître et à se construire, mais bien le formidable escroc intellectuel Max Chapkin, dont le père de Froment fut le nègre. Les destins croisés de Marek Halter, auquel Chapkin ressemble physiquement, béquilles d'infirme en plus, et du Polonais Jerzy Kosinski, qui mourut a