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Libération
Critique

Le Hrabal des proscrits

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On entend les voix de tous les ouvriers, comme si l'usine était sur écoute. «Jarmilka», premier récit du Tchèque, censuré 40 ans dans son pays.
publié le 12 février 2004 à 22h58

Dans d'inédites «Notes d'un psychopathe» (1), l'écrivain russe Venedikt Erofeiev écrit : «Avec ces gens je n'ai pas de sujet de boisson.» Le Tchèque Bohumil Hrabal n'en manquait avec personne. Le père tenait une brasserie. Le fils continua, éternel client du fantôme, «palabrant» dans d'autres brasseries de Prague et de Moravie. Au fond du verre, il y avait du cognac ou de la bière, en grande quantité jusque tard dans la nuit. Il y avait aussi les gens, leurs gestes, leurs mots, leurs histoires, toute la geste du pays. Les premiers n'allant pas sans les seconds et réciproquement. Ses nouvelles et romans sont nés dedans. Ils ont été brassés, décantés, évaporés pendant une quarantaine d'années, il l'a souvent dit, et puis, un jour, parce qu'il ne pouvait plus faire autrement, il s'est mis à l'écrire, à renaître de tout ça, et il est devenu un écrivain. Il l'a fait pendant trente-cinq autres années, jusqu'à sa mort en 1997, comme si la mise en phrases ne pouvait émaner que d'une gigantesque gueule de bois, où l'extrême réalisme d'un crâne accablé se mélange aux hallucinations d'une descente de rêve : l'encre est une mise en bière par d'autres moyens.

L'Esprit des Péninsules publie d'abord son premier récit connu, Jarmilka. Comme l'écrit son traducteur et préfacier, il se confond avec un demi-siècle d'histoire tchèque : tant par ce qu'il raconte que par la petite épopée du manuscrit. Il est écrit pendant l'hiver 1951-52. Hrabal cherche en vain à le faire publier deux fois, en 1959