Menu
Libération
Critique

Serrer l'errant

Article réservé aux abonnés
Tout peut arriver quand on s'est enfermé dehors. Une aventure de Vincent Delecroix.
publié le 25 mars 2004 à 23h56

On raccompagne son visiteur jusqu'à la sortie. Un pas de trop, un geste malheureux. Et vlan ! Dehors, à l'extérieur de chez soi, et sans ses clés. L'autre file, en s'excusant. C'est irritant mais, somme toute, banal. C'est surtout l'occasion rêvée pour le vieux grincheux qu'est le narrateur de pester contre «ce jeune con» et le monde moderne. Un vrai réac qui aurait tendance à penser que c'était mieux avant. Il n'aime évidemment pas l'art contemporain : «l'originalité [y] tient de talent», hait les journalistes et «leur abyssale bêtise», bref, vomit «ce monde à la fois obèse et anémié». A sa décharge, il est professeur de philosophie, et on comprend bien que son désenchantement n'est dû qu'à son assidue fréquentation de Platon.

Dimanche matin, que faire ? Demander de l'aide à ses voisins ? Celui du dessus a un double mais est sorti ; les autres, connaît pas ; quant au gardien (cordialement détesté), pas de réponse. Il ne souhaite pas déranger sa soeur si tôt. La sagesse dicte de faire un tour. Et voilà notre homme en train de baguenauder du côté de la gare du Nord et du boulevard Magenta. Il sourit au beau temps, mais n'oublie pas de maugréer contre la grisaille des temps. Paris se déplie telle une carte jaunie. Surgit une autre époque : plus d'automobiles, des charrettes, des cabriolets, des chevaux, son propre père s'assoit près de lui à la terrasse d'un café... Hallucination, songe éveillé ? Il continue la flânerie, et soudain se retrouve nu comme un ver. Dans ce troisième