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Libération
Critique

Le Carré magique

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Un agent double rattrapé par son passé ou les labyrinthes de l'espionnage.
publié le 1er avril 2004 à 0h04

Quarante ans après l'inoubliable impact de l'Espion qui venait du froid, le dix-neuvième roman de John le Carré nous replonge avec un mélange de fureur et d'innocence dans la veine du grand récit d'espionnage des sixties, à l'heure où s'opère un revival du genre dans ce qu'il a de plus classique. Etrangement, alors que de jeunes auteurs comme Henry Porter ou Robert Wilson exhument avec un certain bonheur la dramaturgie chère à John Buchan, l'auteur des Trente-Neuf Marches, c'est sur la nostalgie d'une forme d'aventure infiniment rétrospective que le père de Smiley compose une symphonie hystérico-tragique dont plusieurs générations de lecteurs n'épuiseront pas la magie. Mêlant l'acrobatie la plus gonflée à un sentimentalisme penaud dont il a le secret, le Carré n'en finit pas de nous émouvoir. Nullement remis du Grand Jeu auquel, très jeune déjà, il s'initia à la manière du Kim de Kipling, fuyant la sphère paternelle sur le caractère nuisible de laquelle la lecture d'Un pur espion nous a naguère instruits, le voici qui revient une fois encore sur ses traces.

Cette fois, son porte-parole, un nommé Ted Mundy, revendique les stigmates de l'absolue excentricité romanesque tout autant que d'une humanité déchirante. Brisant une fois pour toutes l'orthodoxie d'une forme de fiction qu'il n'a d'ailleurs jamais cessé de dévoyer pour convenances personnelles, le Carré nous entraîne sur les montagnes russes d'une existence d'écorché vif. La première image de Mundy, perché sur une caisse à