Le 11 novembre 1918 fut d'abord un choc perceptif : un silence lourd et inhabituel s'abattit sur le front, puis les cloches, tout à coup, ressuscitèrent des sonorités oubliées. La guerre, pour autant, n'était pas finie. Elle continuait pour les soldats d'Orient, engagés malgré eux contre le nouvel ennemi bolchevique. Elle continuait aussi pour les 5 millions d'hommes massés face à l'Allemagne, et dont la démobilisation n'était pas encore à l'ordre du jour. Il faudra près de deux ans pour que chacun puisse retrouver son foyer, deux ans de «temps suspendu entre la guerre et la paix», et qui constituent l'objet de ce livre.
A partir des archives du contrôle postal, qui prélevait chaque semaine de larges échantillons du courrier expédié par le front, l'auteur a esquissé une sorte de psychologie collective, une histoire des sensibilités combattantes en cette sortie de guerre. Très marqué par les travaux des historiens de Péronne, il a surtout voulu mesurer l'ampleur de la «démobilisation culturelle», très faible selon lui au lendemain de l'armistice. Si tous sont évidemment soulagés de l'arrêt des combats («On commence à respirer», écrit un soldat), la haine du Boche demeure entière, autant que la souffrance et le deuil. La perspective de fouler le sol ennemi attise l'esprit de vengeance : il faut leur «rendre la pareille», piller leur territoire, violer leurs femmes. «Ils ont assez sali les nôtres, c'est notre tour !» Mais il est difficile de dire si de tels propos traduisent des