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Critique

Adresse Sérénissime

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Quoi de neuf sur Venise ? Le regard de Predrag Matvejevitch.
publié le 15 avril 2004 à 0h14

Pour oser écrire encore un livre sur Venise, il faut soit afficher une inébranlable présomption ou au contraire être habité de vrai amour et de pas mal d'humour. Erudit multiforme et inclassable, éternel dissident antitotalitaire et rétif à tout nationalisme, l'écrivain croate Predrag Matvejevitch appartient à la deuxième catégorie. Loin des poncifs, il se fait tour à tour historien, anthropologue, géographe, botaniste ou zoologue pour conter une Sérénissime ignorée, sinon des derniers vrais Vénitiens, espèce en inexorable voie d'extinction dans la cité des Doges.

Il narre les herbes folles, les mousses sur les pierres, «la rouille somptueuse et la patine qui ressemble à de la dorure», les puits des petites places, les pietre (pierrailles) ­ ces petites sculptures ornant balcons ou margelles avec «leurs sillons semblables à des rides humaines creusés par les intempéries». Il y a, bien sûr, la ville mais aussi l'immensité gris verte de la lagune avec ses îles englouties, ses accès bordés de pilotis comme «arbres sans ramure ni racine», les cimetières des mouettes, ces deux barene (îlots de vase) isolées où elles se posent pour mourir, ou ses ports dont celui de Chioggia où les pêcheurs, il y a encore quelques décennies, utilisaient la numérotation étrusque.

Dans ce livre foisonnant d'histoires, de lieux et d'anecdotes, Predrag Matvejevitch retrouve le ton et le souffle de son génial Bréviaire méditerranéen, qui contait les vents et les courants, la couleur des flots et le décou