«Pas de héros», c'est tout ce que demande Arthur lorsqu'il discute avec son gendre, Chris Offutt, du livre que celui-ci est en train d'écrire à partir de leur expérience respective. Chris Offutt est romancier, il est né en 1958 dans la région des Appalaches. Arthur et son épouse Irene sont des juifs polonais rescapés des camps, émigrés en 1946. «J'ai survécu parce que, toujours, quelqu'un est tombé avant moi», dit Arthur. «Je ne suis pas un ange. J'ai fait des choses terribles. J'ai eu de la chance», dit Irene. «Les héros ne sont pas humains», explique Arthur.
Chris Offutt a raconté dans le Fleuve et l'enfant comment il a quitté son Kentucky natal. Il raconte ici comment il y revient. La voix d'Arthur, systématiquement suivie de celle d'Irene, s'intercale pour dire ce qu'ils ont vécu pendant la guerre. Il s'agit de récits dont la simplicité dénude l'horreur. Les chapitres où Offutt décline ses souvenirs sont subrepticement brouillés par les larmes et les sentiments qui affleurent.
La juxtaposition est bizarre, d'ailleurs elle tracasse Arthur. «Comment tu vas relier les deux histoires. La guerre et le Kentucky. Quel est le lien ?» Chris Offutt réfléchit, avec un effort d'honnêteté qui peut sembler naïf. «J'avais tout d'abord pensé que la notion du pays natal ferait le lien : mon désir constant de revenir chez moi, sa décision irrévocable de ne jamais retourner dans son pays.» En vérité, si un rapprochement doit avoir lieu, il est dans l'impossibilité du retour, quel qu'il soit.