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Libération
Critique

Le duo d'Alexandrie

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Un pur exercice de franchise postale. Pendant quarante-cinq années, Lawrence Durrell et Henry Miller correspondent.
publié le 20 mai 2004 à 0h42

En mai 1980, Henry Miller écrit de Californie, où il vit depuis quarante ans, sa dernière lettre à «Larry» Durrell, installé depuis 1957 dans le Gard. Une équipe de télévision est venue, écrit-il, «m'interviewer dans mon rôle de moribond, pour ainsi dire, car j'en suis proche, même si je suis encore assez vivant pour vous écrire». Miller ajoute : «Tenez encore pendant vingt ans.» Il meurt un mois plus tard. Durrell tiendra dix ans. A la lecture de leur correspondance d'exception ­ par son intensité amicale, sa qualité littéraire, et son absence de froid ­, on se dit que, dès lors, il dut manquer au survivant quelque chose que le whisky lui-même ne pouvait plus remplir.

La première partie de la correspondance ­ la plus importante, jusqu'en 1959 ­ avait été publiée en 1963. Des lettres d'avant n'y figuraient pas, concernant par exemple la période de guerre : les deux hommes échangent avec une joie, une agressivité et un naturel obstinés, sans se préoccuper de leur image ou du qu'en-lira-t-on ; à l'époque, des remarques auraient pu choquer. Par exemple, ces mots de Durrell en mars 1939 : «Hitler n'est pas pire que les autres crétins ; il vaut même mieux qu'eux, à mon avis. Il a simplement le défaut de tous les Allemands : il manque de tact, c'est tout.» Certaines lettres ont des lendemains difficiles ; ce n'est pas une raison pour ne pas les publier : leurs mouvements d'humeur font partie de la vie d'un homme et doivent être évalués comme tels. La nouvelle édition comprend donc