En mai 1980, Henry Miller écrit de Californie, où il vit depuis quarante ans, sa dernière lettre à «Larry» Durrell, installé depuis 1957 dans le Gard. Une équipe de télévision est venue, écrit-il, «m'interviewer dans mon rôle de moribond, pour ainsi dire, car j'en suis proche, même si je suis encore assez vivant pour vous écrire». Miller ajoute : «Tenez encore pendant vingt ans.» Il meurt un mois plus tard. Durrell tiendra dix ans. A la lecture de leur correspondance d'exception par son intensité amicale, sa qualité littéraire, et son absence de froid , on se dit que, dès lors, il dut manquer au survivant quelque chose que le whisky lui-même ne pouvait plus remplir.
La première partie de la correspondance la plus importante, jusqu'en 1959 avait été publiée en 1963. Des lettres d'avant n'y figuraient pas, concernant par exemple la période de guerre : les deux hommes échangent avec une joie, une agressivité et un naturel obstinés, sans se préoccuper de leur image ou du qu'en-lira-t-on ; à l'époque, des remarques auraient pu choquer. Par exemple, ces mots de Durrell en mars 1939 : «Hitler n'est pas pire que les autres crétins ; il vaut même mieux qu'eux, à mon avis. Il a simplement le défaut de tous les Allemands : il manque de tact, c'est tout.» Certaines lettres ont des lendemains difficiles ; ce n'est pas une raison pour ne pas les publier : leurs mouvements d'humeur font partie de la vie d'un homme et doivent être évalués comme tels. La nouvelle édition comprend donc