Love est un excellent film. Pas un indépendant, un hollywoodien, plutôt, en pleine santé, avec souffle épique, message, engagement, réalisme malin. Mais le propos en est rien moins que politiquement correct. Chose rarissime aux Etats-Unis, Toni Morrison ose montrer des Noirs mauvais, et même pire, à rebrousse-poil de tout l'idéalisme communautariste, laisse entendre qu'ils peuvent se nuire entre eux. Love, à travers l'histoire métaphorique d'un héritage que se disputent six femmes, explore les dégâts paradoxalement causés par les droits civiques et la fin de la ségrégation. On y trouve une mer gelée, des sorcières perchées, un conflit générationnel et un homme mort, Bill Cosey, jadis propriétaire du plus grand hôtel réservé aux riches Noirs.
Si le contenu se veut progressiste et loin de tout manichéisme, la forme, en revanche, est très conservatrice. L'écriture de Morrison exige du lecteur une âme religieuse, une disponibilité totale à l'illusion. Sans répudier ni parodier «la marquise sortit à cinq heures», elle cherche au contraire à l'améliorer, l'enrichit de qualificatifs comme un alicament l'est en vitamines et en minéraux, ne recule jamais devant le cliché ni la fioriture vide ce que le New York Times lui avait déjà reproché lors de la sortie de Paradis. Ce qui est sûr, c'est que Toni Morrison s'inscrit dans une tradition classique, rassurante, où les mots sont en confiance avec les choses. La Nobel de littérature s'en est jadis expliquée lors de la réception de son p