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Les philosophes sans porte-voix

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Foucault. Héritages. Comment travaille aujourd'hui la pensée de Foucault ? Les réponses d'une juriste, d'un psychanalyste, de philosophes, sociologues et historiens, jeunes chercheurs et compagnons de route.
par Jacques Rancière, philosophe et historien
publié le 19 juin 2004 à 1h07

Que faire de Foucault aujourd'hui ? Les uns se querellent sans fin : son analyse des illusions de la libération sexuelle en fait-elle l'initiateur de la révolution queer ou le dénonciateur anticipé des mariages gays ? Ses thèses sur la société disciplinaire n'en font-elles pas le précurseur des penseurs patronaux qui partent à l'assaut de la Sécurité sociale en chantant les beautés morales du risque, opposées aux turpitudes de la société assistée ? Certains pensent trouver dans son analyse du biopouvoir l'ontologie de la vie propre à fonder le mouvement des multitudes.

D'autres y voient théorisé cet état d'exception qui fait de la modernité un vaste camp de concentration. D'autres encore suivent patiemment, d'interview en interview, les linéaments de l'éthique de l'individu sur laquelle ne pouvaient manquer de déboucher ses analyses du souci de soi chez Socrate ou Sénèque. Les philosophes ne sont-ils pas là pour nous enseigner les principes de la transformation du monde ou ceux de notre propre perfectionnement ?

Il se peut pourtant que le legs essentiel de Foucault soit d'avoir ébranlé cette image simpliste des rapports de la pensée et de la vie. Tout son parcours n'a-t-il pas été placé sous le signe de l'écart et du contretemps ? Qu'était-ce d'abord que cette manière de faire de la philosophie en racontant des histoires sur la prison ou l'hôpital il y a deux cents ans au lieu d'élaborer un clair discours sur ce que l'être est vraiment et ce qui l'oppose au non-être ? Pas éton