Chaque lundi, elle prend le train pour Paris avant l'aube. Voiture 13, première classe, près du bar, toujours la même ronde de places ; les trains rendent maniaques. Un jour, un homme dort à la place qu'elle voulait. Irritée, elle s'installe en face de lui. Il dort ? Non ; il fait semblant. Elle l'observe, le dessine peu à peu avec une plume de silence et de curiosité. Le désir naît dans l'ombre du faux sommeil. De voyage en voyage, il prend forme, rites et caresses ; il s'active et s'échange sans mot ; il s'attise quand l'un, absent, manque à l'autre ; les deux finissent par en jouir. Gabrielle Ciam conte, avec un classicisme précis, les vibrations mentales et charnelles de cette brève histoire presque muette, cette affaire de peau qui semble finir, d'une seule étreinte, en histoire d'amour. Tantôt les rencontres sont vécues par elle, tantôt par lui. C'est la tradition du roman psychologique et érotique français, réduite à l'épure et quasiment dressée jusqu'au pastiche, comme s'écrivant sur le miroir et le corps de Madame de Merteuil. On y lit des phrases comme : «Ce qu'elle veut, c'est garder en elle l'idée que sa coquetterie passe inaperçue.» Ou, tandis qu'il agite l'orteil dans le sexe de la voyageuse : «Elle l'aide un peu. Finalement elle va jouir. Et sa main n'a pas à chercher longtemps pour partir enfin, sans un souffle, sans un mot, les yeux fermés sur ce qui n'est pourtant pas de solitude.» «Partir» est daté, la chute est belle ; une bonne heure de train suffit
Critique
L'étreinte qui arrive à l'heure.
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par Philippe Lançon
publié le 1er juillet 2004 à 1h17
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