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Libération

Notre Pouchkine.

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publié le 1er juillet 2004 à 1h17

De Gogol à Nabokov en passant par Dostoïevski, on a célébré Pouchkine, né en 1799 et mort en 1837, comme le poète et écrivain de l'âme russe, l'ancêtre de toute la littérature du pays. «Ton nom est devenu la propriété du peuple», lui écrit-on de son vivant, tandis que le grand chirurgien qui ne le sauvera pas a déclaré : «Je suis prêt à tout sacrifier pour sauver le premier poète de Russie.» Les cent quatre-vingt-deux lettres qui paraissent aujourd'hui n'ont pourtant pas eu besoin de traducteur en français puisque c'est dans cette langue qu'elles ont été écrites.

Bernard Kreise raconte dans l'introduction à son excellente édition comment le français était alors la langue de la bonne société russe. Il note comment encore, dans Guerre et Paix, les personnages parlent, selon les mots de Tolstoï, «dans ce français raffiné qu'employaient nos ancêtres non seulement pour s'exprimer mais pour penser», et cite Pouchkine lui-même : «Les raisons qui ont retardé l'avancement de notre littérature sont habituellement considérées comme étant, premièrement, l'usage généralisé du français et le mépris du russe. Tous nos écrivains s'en sont plaint, mais à qui la faute, si ce n'est à eux-mêmes ? Si l'on exclut les thèmes qui occupent la poésie, le russe ne peut être suffisamment séduisant pour qui que ce soit. (...) Notre prose est encore si peu élaborée que même dans la simple correspondance nous sommes contraints de créer des tournures pour expliquer les notions les plus ordinaires ; et notre