La vie est courte, ce sont les journées qui sont longues. Le temps passe grain à grain dans le sablier, goutte à goutte dans la clepsydre et sur le front du Chinois supplicié. Dans le livre de Xabi Molia, le temps s'écoule, et avec lui la vie de Victor, paragraphe par paragraphe, inexorablement vers cet achevé d'imprimer page 144 comme solde de tout compte, où tout est achevé, où tout est déprimé. Deux cent neuf paragraphes numérotés à rebours, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un, puis plus rien, rien à dire, rien à écrire, rien à lire. Deux cent neuf vous a des airs de nombre premier, comme on dit une vérité première, «deux cent neuf» comme «de sang neuf», mais c'est un leurre, on peut diviser deux cent neuf par onze et par dix-neuf, et la vie de Victor se brise en mille morceaux. Il y aura du sang, le vieux sang des autres et le sien et le vôtre, sur vos mains lorsque vous refermerez le livre. Dix pages blanches pour s'essuyer.
Victor est employé de bureau, dans une société d'assurances, inspecteur, cadre supérieur, intermédiaire pourtant, beaucoup de monde sous sa responsabilité accablée, assez au-dessus pour se faire virer. Avant, il aura animé des séminaires, plaisanté des secrétaires, fait tomber des lampadaires, recompté des inventaires, et surtout lu pendant des heures le même numéro de Paris-Match, qu'il sait par coeur, dont il a photocopié les images jusqu'à l'obsession, un numéro de juillet 1969, juste avant que Neil Armstrong, ce fier-à-bras, pose son pied gauc