Le 10 décembre 1952, François Mauriac reçoit le prix Nobel de littérature à Stockholm. La veille, les forces coloniales françaises ont massacré des manifestants marocains dans un bidonville de Casablanca. Le 25 octobre précédent, dans la jeune revue la Table ronde, l’écrivain-académicien français de 67 ans a pour la première fois inscrit en haut d’un article ce titre : «Bloc-notes». La gloire, le début des guerres coloniales, la volonté de s’engager et de rajeunir : ce trio de Parques éclaire la naissance d’un genre littéraire dont Mauriac est à la fois le créateur, le meilleur représentant, et, par son talent et sa situation, le fossoyeur malgré lui.
Un vieil écrivain bourgeois et catholique, profondément nourri de littérature, doué d'une conscience morale et politique aiguë, décide par gros temps de décolonisation de ne plus renoncer à rien : ni au combat pour ses idées humanistes contre ceux «qui ont au fond de leurs poches la patrie, la considération et toutes les places» ; ni à l'affirmation permanente, contondante et parfois redondante, de sa personnalité chrétienne saisie par l'Histoire et l'événement ; ni, surtout, à son plaisir d'écrire et de renaître, chaque jour, armes et phrases en main, dans un berceau de papier journal, puisque «j'ai toujours confondu ma tâche et mon plaisir».
Il se lance le défi, le 10 juillet 1953, dans Témoignage chrétien : «Est-ce une illusion ? Il me semble entendre autour de moi, depuis, précisément, le suprême honneur du prix Nobel, le bru