L'histoire moderne, on le sait, est née au XIXe siècle, en réécrivant l'histoire ancienne, notamment celle des peuples qui, après avoir façonné l'Europe, allaient s'affronter au cours des deux guerres mondiales du siècle suivant. Pour avoir introduit des méthodes scientifiques nouvelles (la philologie, l'archéologie ou la paléographie...), cette histoire n'était pas moins dominée par une idéologie inédite le nationalisme justement , d'autant plus dangereuse que les prétentions à l'objectivité la rendaient comme inattaquable. De ce tête-à-queue tragique entre les peuples et leurs historiens, le médiéviste américain Patrick Geary (1) fait une brillante reconstitution dans Quand les nations refont l'histoire. C'est en quelque sorte le péché premier de sa discipline qu'il dévoile, ou encore les travers dans lesquels peuvent tomber ses collègues si, pour justifier les différents nationalismes européens, ils en venaient de nouveau à projeter dans le passé les attentes et les préjugés de leur époque, pour les alimenter.
Sans dénier l'importance des peuples, Patrick Geary déconstruit le mythe qui les fait surgir de nulle part et une fois pour toutes comme une réalité sociale autonome et homogène, dotée d'une pureté originelle à un moment précis de l'histoire européenne, par exemple au Ier siècle après J.-C., avec les Germains ou au Ve, avec les Francs. Ces peuples-là n'ont pas existé ainsi, selon lui, de même qu'ils ont très peu à voir avec les Allemands ou Français actuels. E