L'exil est perte et blessure, mais, par sa faille, c'est la pensée moderne elle-même qui fait irruption. Un essai nomade de Nicole Lapierre.
En ces temps de temps réel où l'ailleurs semble ne plus avoir un lieu qui lui soit propre, prêt qu'il est à faire irruption à tout moment ici, quand il n'y est pas déjà installé à demeure, l'invite à décentrer sa pensée peut paraître superfétatoire. Or, il n'en est rien, à lire Pensons ailleurs. Affaire d'écriture peut-être, voire de poétique, tellement celle de Nicole Lapierre est dense, mouvante et souvent émouvante, comme tressée avec le vécu, le sien et celui des siens, arrivés en France de Pologne non sans avoir laissé là-bas une part d'eux-mêmes. Question de sens sûrement, celui que prend une vie de chercheur quand le changement de point de vue, plutôt que de contrarier les déplacements existentiels ou les gommer, les investit et les fait fructifier. De pédagogie ou de générosité aussi, puisque la sociologue Nicole Lapierre, en retraçant son éducation intellectuelle, entend, avec Pensons ailleurs, reconnaître ses dettes aux livres et auteurs aimés, et pousse celui qui s'approche de son voyage initiatique non pas à une répétition scolaire mais à l'invention de sa voie personnelle.
«Nous pensons ailleurs», écrivait Montaigne, et le bonheur ne vient jamais du même mais du mouvement, du «passage». A 48 ans, un vieux pour l'époque, il monte à cheval et, pendant deux ans, il chemine à travers l'Europe, passant d'un pays à l'autre, souffra