Le 17 mai 1997, s'est déroulée à Libération une scène peu commune et marquante. Une sorte de jury d'honneur de huit historiens y siégea toute la journée, réuni à l'initiative de Lucie et Raymond Aubrac, tous deux héros de la Résistance, après la publication d'un pamphlet leur imputant notamment une part de responsabilité dans l'arrestation de Jean Moulin. Les époux Aubrac entendaient ainsi laver la calomnie (l'auteur du pamphlet fut par la suite condamné pour diffamation). Le 9 juillet, avec l'accord de tous les participants, Libération publiait les minutes de cette longue, et parfois pénible, séance collective, qui constituait une forme de première et qui déclencha, y compris dans les colonnes du journal, une polémique passionnée entre historiens sur la validité d'une telle confrontation. Parmi ces huit historiens, Jean-Pierre Vernant, historien et anthropologue de la Grèce ancienne et lui-même grande figure de la Résistance (il fut chef régional de l'Armée secrète). Sept ans après, celui-ci revient sur cet épisode pour redire de manière encore plus nette le malaise qu'il avait déjà ressenti et publiquement exprimé à l'époque.
Ce retour est l'occasion pour lui de s'interroger sur la manière de faire l'histoire «d'événements encore proches, encore chauds pourrait-on dire». S'il ne conteste nullement qu'il soit «nécessaire» pour l'historien d'entendre les témoins vivants des événements étudiés, tout le problème, selon lui, est de «savoir dans quelles conditions et sous quelle