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Libération
Critique

A perdre Segalen.

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publié le 18 novembre 2004 à 3h03

Huelgoat envoyé spécial

Commençons par la fin. Le 21 mai 1919, l'écrivain et médecin de marine Victor Segalen (qu'on prononce en Bretagne Ségalin) quitte l'hôtel d'Angleterre, au Huelgoat, Finistère-Centre, pour aller marcher comme chaque jour dans la forêt : «Je continue ma végétation, écrit-il à sa femme Yvonne, du matin au soir dans les arbres.» Le Huelgoat est la tardive convalescence d'une vie bien brûlée, que révèle dans son étendue la correspondance en deux tomes aujourd'hui publiée.

Segalen a 41 ans. C'est un homme frêle, myope, nerveux, un «mystique orgueilleux» sans concession envers lui-même ni envers le monde. Jules Renard en a fait le portrait dans son Journal, le 14 novembre 1907. Le jeune homme vient de signer son premier livre, les Immémoriaux, sous le nom de Max Anély. Pierre Loti, dont il dénoncera plus tard le narcissisme exotique auquel lui-même veut échapper, lui écrit : «Vous m'avez fait revivre des heures de Polynésie avec une intensité que je ne croyais plus possible.» Segalen-Anély rend visite à Renard car il espère obtenir le prix Goncourt. Renard écrit : «L'air jeune, souffreteux, pâle, rongé, trop frisé, la bouche pleine d'or qu'il aurait rapporté de là-bas avec la tuberculose. Situation médiocre et suffisante.»

Les lettres de Segalen ne racontent malheureusement pas cette visite. Mais elles font l'inventaire de son plan mondain de bataille. Il fait le tour du jury, homme à homme, sans trop y croire tout en y croyant. Finalement, il n'aura pas une vo