Dire que Multitude parle d'amour serait exagéré. Il n'est même aucune chance qu'il y soit question de cette «affaire privée», si elle se limite au «couple bourgeois et à l'enceinte claustrophobique du noyau familial». Pourtant, le livre de Michael Hardt et Antonio Negri aurait moins de souffle s'il n'était porté par ce «quelque chose» qui a fait parfois de l'amour une force matérielle, publique et politique. «Le christianisme et le judaïsme, par exemple, conçoivent tous deux l'amour comme un acte politique qui construit la multitude», fonde la construction d'une communauté et d'une société nouvelles. La situation du monde actuel, miné par l'accroissement des inégalités, mortifié par l'expansion de la violence et «l'état de guerre interminable», exige que s'enclenche une dynamique semblable, que l'«extraordinaire accumulation de doléances et de propositions de réforme» se transforme en «événement fort», en «revendication insurrectionnelle radicale». C'est à cet acmé de l'amour qu'à la fin de Multitude appellent Hardt et Negri : «Le temps est partagé entre un présent qui est déjà mort et un avenir qui est déjà vivant et l'abîme béant entre les deux ne cesse de s'agrandir. Le moment venu, un événement nous propulsera comme une flèche dans cet avenir vivant. Ce sera le véritable acte d'amour politique.»
Michael Hardt est américain, professeur associé de littérature à l'université de Duke. Toni Negri est italien : philosophe, il a été professeur de sciences politiques à Padoue,