De Disraeli (1804-1881), on a surtout retenu l'homme d'Etat, chef du Parti conservateur, plusieurs fois Premier ministre, ami et confident de la reine Victoria. Mais l'homme avait eu une jeunesse plus turbulente. Dandy romantique, il avait débuté par la littérature et publié des romans dont les idées à la fois conservatrices et radicales ne lui avaient guère fait d'amis. Elu aux Communes en 1837, il y végéta plusieurs années. Réputé ambitieux, cynique, opportuniste, stigmatisé surtout pour ses origines juives (bien que converti à l'anglicanisme), il était une figure politique impossible en ce milieu du XIXe siècle. Il mit l'épreuve à profit pour écrire trois nouveaux romans, pensés comme le manifeste du mouvement Young England qu'il animait au sein du Parti tory. Après Coningsby en 1844 et Sibyl en 1845, Tancrède acheva la trilogie en 1847. C'est ce dernier récit, demeuré inédit en français, que Fayard a eu l'heureuse idée de traduire, car l'ouvrage est sans conteste le plus original de Disraeli.
L'argument en est à la fois étrange et limpide. Un jeune lord, promis au plus bel avenir, annonce le jour de sa majorité qu'il renonce à tout pour partir en Terre sainte, à la recherche des valeurs qui fondent l'aristocratie naturelle : «la vérité religieuse et la justice politique». Convaincu que l'Angleterre ne peut être guérie de ses maux que de ce lieu d'où «proviennent les principes qui règlent la destinée humaine», il décide de «prendre la tête du mouvement asiatique» pour régé