Supposons un écrivain qui accepte la commande d'un texte sur la Franche-Comté, voire sur les «industries et culture comtoises». Et que cet écrivain soit Alain Fleischer. Que fait-il ? Eh bien, il part d'Europe Centrale, comme d'habitude, non parce que c'est son habitude, mais parce que ce territoire constitue son terreau, son style même, parce que l'Europe centrale est la patrie de Kafka ou de Canetti, une sorte d'inconscient de la littérature moderne, un pays d'ogres et de mots. On ignore absolument si Alain Fleischer s'est documenté, s'il passe sa vie en Hongrie ou à Prague, mais ce qui est sûr c'est qu'on s'y croirait sans y avoir jamais été et que demander de plus à l'illusion romanesque ? Pour évoquer donc Morez dans le Haut-Jura (6 955 habitants, spécialité de lunetterie), il invente Mòrhàz en Transylvanie (spécialité de cisellerie). Et puisque Transylvanie signifie «à travers bois», il raconte la Traversée de l'Europe par les forêts d'un certain Gregor H., chassé de Mòhràz par le fascisme. Gregor H. marche cinq mois sans jamais sortir de la forêt, se tenant à l'écart des hommes, ultra-Lenz pris dans un boyau imaginaire, et se retrouve à Morez. Des ciseaux aux face-à-main, il n'y a qu'un peu de myopie et un renversement de perspective : séparer d'un côté, rapprocher de l'autre. La Traversée devient ainsi un ruban de Moebius aux conséquences politiques et ludiques, dans cette écriture policée si propre à Fleischer, sorte de classicisme si parfaitement maîtrisé qu'on l
Critique
Parcours Fleischer
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par Eric Loret
publié le 6 janvier 2005 à 23h27
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