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Libération
Critique

Laissons la page aux romantiques

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Anne F. Garétta a lu la somme à laquelle Paul Benichou a consacré sa vie.
par Anne F. Garréta
publié le 20 janvier 2005 à 23h48

Romantismes français : soit 2 000 pages admirables de prose lucide, des bibliothèques entières passées au crible, les premiers plans, les arrière-plans et jusqu'aux souterrains de l'époque analysés et recomposés en un tableau d'une finesse et d'une ampleur magistrale... Quelle passion, quelle question a donc bien pu aiguillonner Paul Bénichou un demi-siècle durant dans une quête pareille ?

Songeant en 1950, alors que venaient à peine de paraître ses Morales du grand siècle, à «une étude sur le pessimisme poétique de la génération post-romantique» (Baudelaire, Banville, Leconte de l'Isle, Flaubert), il lui apparut fort vite que «le poète maudit était une version négative, traumatisée du poète missionnaire et guide des générations précédente», et le pessimisme, «le retournement de ses enthousiasmes et de sa foi».

La poésie romantique s'est soutenue d'une fable religieuse : la figure du Poète romantique est en France une issue singulière à la crise de la modernité entendue comme le défi de la sécularisation, la catastrophe historique de la transcendance religieuse.

L'histoire littéraire sera donc nécessairement histoire culturelle, histoire des idées et des doctrines politiques. Elle engage et révèle pour Paul Bénichou tout autre chose que ce que notre modernité a voulu retenir de la littérature et de son histoire. Notre époque et notre tradition critique ont radicalisé les postulations et les interdits du post-romantisme : l'autonomisation jusqu'à réduire le littéraire à la ficti