[Cet article a été publié dans Libération en janvier 2005, à l’occasion du 60e anniversaire de la liberation du camp d’Auschwitz]
Le 27 janvier 1945, l'Armée Rouge pénètre à Auschwitz-Birkenau, le plus important des camps d'extermination nazis. Peu à peu les autres vont être libérés. A Paris, les premiers convois de rescapés arrivent fin avril.
Les marronniers sont en fleurs sur le boulevard Raspail et une douceur printanière baigne la capitale française, qui profite de ses premiers mois de liberté. Mais devant l'hôtel Lutetia, une petite foule reste là jour et nuit, bloquée derrière des barrières, visages tendus, photos brandies à bout de bras, écriteaux portant les noms des leurs. Ils attendent le retour des déportés. Même si la spécificité de l'extermination de cinq millions à six millions de juifs n'apparaît pas encore dans toute son évidence, l'horreur des camps commence à émerger avec les premiers témoignages et les images de corps squelettiques. Ils viennent le matin avant le travail et reviennent le soir. Quand un convoi de bus arrive, déchargeant sa cargaison fantomatique, les conversations s'arrêtent net. Les revenants passent entre cette haie de douleurs muettes. «On lisait cette lueur d'espoir au fond de leurs yeux, on entendait des noms, des questions, mais les photos exhibées étaient celles d'être normaux aux visages joufflus, avec des cheveux, et nous n'avions en mémoire que des faces vides et des têtes rasées», se souvient Joseph Bialot, juif