Menu
Libération
Critique

Ciorangerie.

Article réservé aux abonnés
Un désespoir pour la soif, ou l'hommage affectueux de Roland Jaccard au maître de l'école du désabusement.
publié le 17 février 2005 à 0h37

A la fin de sa promenade du côté de la «Ciorangerie» ­ le mot est de François George ­, Roland Jaccard rassemble ce qu'il nous faut savoir de son ami et maître à penser : «Ce que Cioran recherchait, ce n'était pas la sérénité du sage à l'antique, mais une morale tragique où le doute, le désespoir et la passion se mêlent en un jeu étrange et paradoxal. Il appartenait à ces brigades du désespoir, animées d'un pessimisme joyeux. Leur devise : ne rien croire, ne rien craindre, ne rien espérer.» Sous son regard reconnaissant et affectueux, le vieux Roumain a une aura certaine. Son cheminement s'éclaire, du nationalisme de la jeunesse à l'indifférence conquise. Ce «dieu de la catastrophe doublé d'un farceur» intrigue, sans doute est-ce là la meilleure manière d'amener à son oeuvre.

Mais l'inverse est surtout vrai, Cioran est de bonne compagnie pour aborder le monde de Jaccard. Premier de la classe à «l'école du désabusement», prix d'excellence dans la discipline du détachement «de tout, y compris du désespoir», docteur honoris causa en «nihilisme viennois», l'auteur de l'Exil intérieur, à travers quoi il est entré en relation avec Cioran en 1978, se fait passer accessoirement pour un «homme cruel» auprès d'une de ses amies. Cet homme-là voit la liste de ses prérogatives dressée quelques pages auparavant : «L'homme cruel sait d'instinct que l'humanisme est la rêverie sénile des nations à bout de souffle qui n'ont plus assez de force pour accepter l'idée de la haine universelle et qu