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Libération
Critique

La possédée

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L' ultime roman d'Anna Maria Ortese convoque esprits et fantômes des années de plomb.
publié le 17 février 2005 à 0h37

Hantée, voire possédée, Anna Maria Ortese l'a été toute sa vie. D'abord par l'écriture, qu'elle destina à l'expression d'un monde qui, autrement, n'aurait pas pu émerger du chaos de douceur et de terreur primordiales. Par toutes sortes d'esprits ensuite : celui de pauvreté, qu'elle vécut comme une manière de rachat du don éblouissant de son style et gage de fidélité à ses origines plus que modestes, mais aussi les ombres et autres fantômes, plus ou moins inquiétants et douloureux, qui ne laissaient pas de trêve à une fantaisie fiévreuse, et, enfin, l'Esprit du Monde lui-même, qu'elle traquait derrière les plis des apparences, souffle et promesse de la nature, bref Amour universel. Anna Maria Ortese déroutait, en faisant perdre ses traces. On l'a crue à deux ou trois reprises disparue, perdue pour la littérature voire morte tout court. Puis elle réapparaissait, l'instant où l'un de ses livres la projetait à la lumière. Journaliste célèbre, après avoir publié La mer ne baigne pas Naples en 1953, elle arrête d'écrire pour la presse et se retire dans un exil intérieur, dont la sort un moment, en 1965, l'Iguane, son chef-d'oeuvre. Le réalisme épuré des débuts, que rend magique l'économie même des moyens, est comme envahi par une vague fantastique qui transfigure les choses, les animaux et les hommes. Avec la Douleur du chardonneret (1993), Ortese se libère de ses fantasmes et de ses hallucinations, en leur abandonnant, comme un terrain conquis, ses pages. De cette veine et avec u