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Libération
Critique

Le continent des enfants perdus

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publié le 17 février 2005 à 0h37

Dans la nuit du 13 juillet au 14 juillet 1976, des militaires argentins et uruguayens enlèvent à Buenos Aires la jeune militante de gauche uruguayenne Sara Méndez, après l'avoir solidement battue au pied du berceau de son nouveau-né. Ce fut, se souviendra plus tard l'un des membres du commando, «la nuit la plus froide de l'année». L'enfant est donné à une famille inconnue. Sara est emprisonnée, torturée. On ne la tue pas : avec une vingtaine de prisonniers, elle est rapatriée à Montevideo pour y feindre une conspiration d'opérette, permettant à la junte locale de demander des crédits à une administration américaine plus que complaisante. Libérée en 1981, Sara cherche son enfant perdu, comme les mères argentines de la place de Mai. Le sadisme administratif et la volonté d'oubli s'y opposent. Elle le retrouvera pourtant. L'écrivain et journaliste allemand Erich Hackl transforme cette histoire vraie en récit d'une efficacité déroutante. Sa façon d'entremêler les histoires et les voix ; de faire passer la rage et l'émotion sans effet de larmes ni de ponctuation ; de graver à l'imparfait, avec une neutralité agressive, le rouleau de cette tragédie sans fin : tout cela est assez remarquable. Le livre a connu trois états. Sara n'a retrouvé Simón qu'en 2002, après la deuxième édition. Le dernier chapitre a été écrit ensuite (mais pas le post-scriptum, qui date des éditions précédentes et le contredit à tort). «Nous attendons de devenir ceux que nous étions», dit l'un de ceux que ces