1. Il faut bien oser, c'est-à-dire commencer. Dans une sorte de vision picturale claire, je dirais ceci : Sartre dans sa pensée, dans ses écrits, dans ses attitudes, dans ses engagements est à la fois, apparition oblige, la mangrove et la canopée. Tout en bas, il est ces poissons hors d'eau courant partout, les yeux comme des périscopes sans cesse en alerte, rampant à toute allure sur leurs nageoires ; tout en haut, il est ce calao méfiant et flamboyant, criaillant d'une voix cassée, l'oeil vissé en permanence sur l'horizon des feuilles. C'est comme ça que je le vois, énorme métaphore enchantée. Tapisserie tenace. Filtre du monde, couleur du temps.
(Ce n'est pas pour rien, n'est-ce pas, que Sartre et Beauvoir s'étaient surnommés entre eux Kobra et Castor.)
2. Dans son Dictionnaire amoureux de Venise, d'une lecture particulièrement jubilatoire, Sollers rapporte en détail, citant longuement les souvenirs de Beauvoir, les déambulations nocturnes de Sartre et de sa compagne à travers les ruelles désertées de Venise, en 1933 notamment. Simone : «Nous avons traîné dans les cafés, jusqu'à leur fermeture ; nous nous sommes assis sur les marches de la place Saint-Marc ; nous avons marché le long des canaux. Tout se taisait ; sur les largo on entendait, à travers les fenêtres ouvertes, la respiration des dormeurs. Nous avons vu le ciel blanchir au-dessus des Fundamenta Nuova ; entre le quai et le cimetière, des barques, larges et plates, glissaient comme des ombres sur les eaux de l