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TRIBUNE

«Ici, le Mur était une chose en béton très surveillée»

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par Vincent VON WROBLEWSKY, Philosophe, éditeur, traducteur, président de la Sartre Gesellschaft à Berlin
publié le 11 mars 2005 à 0h56

En 1955, Berlin-Est. J'ai 15 ans, depuis cinq ans, je vis ­ après dix ans d'enfance française ­ dans cette ville en ruines divisée en secteurs d'occupation. Un jour, je réussis à emprunter à la bibliothèque municipale un petit livre, bien que retiré de la circulation peu après sa parution ­parce que pornographique. Je ne me souviens plus si j'ai trouvé dans cette Enfance d'un chef mon compte quant à la pornographie ; en revanche, j'y ai découvert un début de réponse à des questions qui me tracassaient. De nombreux adultes autour de moi auraient pu être les assassins d'une partie de ma famille qui n'avait pas réussi à fuir le nazisme. Et ils n'avaient aucunement le sentiment d'être coupables ou responsables. La réflexion du coiffeur du coin me révoltait : les Allemands ont tort parce qu'ils ont perdu la guerre, s'ils l'avaient gagnée... Je ne connaissais pas le concept de mauvaise foi, mais je ne pouvais admettre que le droit et la morale dépendent du succès.

En 1958, je fis à Berlin-Ouest la connaissance d'un étudiant en philosophie et lettres romanes. Pour expliquer à de jeunes ouvriers comment les patrons deviennent patrons, il leur lisait justement l'Enfance d'un chef ! Je me sentais de plus en plus à l'aise à l'Ouest quand, brusquement, la nuit du 12 au 13 août 1961, l'édification du Mur mit brutalement un terme à mes pérégrinations. En 1965, Wolfgang Fritz Haug vint chez moi avec un exemplaire de sa thèse qu'il venait de soutenir. Il avait eu grand mal