Ma génération a été fortement marquée par Sartre. Son vaste talent, son autorité intellectuelle ont coloré beaucoup de nos émotions littéraires et de nos débats politiques. Je crois cependant y avoir été moins sensible que bien d'autres. Admirateur quasi inconditionnel de son théâtre, je fus beaucoup moins sensible à ses romans.
Je n'ai guère aimé les Chemins de la liberté. En revanche, qu'il s'agisse des Mouches ou des Mains sales, j'ai vu, revu, travaillé sur les textes et me suis, là, senti pénétré de sa problématique. Celui de ses textes qui m'a le plus remué, et donné à penser, est un scénario de film, appelé l'Engrenage, qu'il a retiré de la circulation et désavoué... Il y disait en gros l'inanité de la révolution...
Lors de la grande controverse entre Sartre et Camus, je me suis retrouvé sans réserve camusien. Je pense même que c'est cet épisode qui m'a aidé à mieux comprendre pourquoi je restais à distance de ses oeuvres majeures, romans et essais.
Cela n'empêche pas qu'il était un militant courageux, disponible et modeste. Nous nous sommes retrouvés dans bien des manifestations, et je me souviens d'une visite émouvante à la morgue, pour saluer les dépouilles d'une famille d'immigrés morte par asphyxie dans un logement aux conditions d'insalubrité insoutenables. Nous avons failli nous faire agresser par des jeunes déchaînés pour qui lui et moi étions moins des témoins de solidarité que des représentants de l'impérialisme. Je lui ai ce jour-là servi de garde du corps, no