J'ai connu Sartre après la Libération, en pleine gloire, c'est-à-dire en pleine haine («La célébrité, pour moi, ce fut la haine»). J'étais, depuis la Résistance, au Parti communiste où Sartre était l'ennemi public n° 1 ; il était «interdit» même de le lire (il était aussi à l'Index, pour les catholiques) : ses moeurs, la fréquentation des bistrots, les filles en pantalon à Saint-Germain-des-Prés... tout le condamnait. Pour les communistes, il n'était pas un «humaniste», sa dénonciation de la bourgeoisie était factice, il ne croyait pas aux «lendemains qui chantent». Bref, il dévoyait la jeunesse. «Je leur prenais des clients», ironisait-il... Je fus tentée par le diable et, peu à peu, je devins son défenseur dans les publications marxistes.
Bientôt j'eus à défendre des positions marxistes, dans un débat de «la semaine de la pensée marxiste», face à un catholique (le père Cardonnel) et à un existentialiste, rédacteur aux Temps modernes, André Gorz. A vrai dire, je devenais un peu «traître» et me trouvais dans une position teintée d'existentialisme (et André Gorz, de marxisme). Nous devînmes amis. Il me dit : «Va voir Sartre, il t'aime bien...» Je me décidai à aller rue Bonaparte, chez sa mère. Mais ce jour-là, Sartre était de mauvaise humeur, «vous deviez venir demain... et puis, j'ai la grippe». Je voulais repartir, mais il me dit avec la brusquerie qu'il avait parfois : «Restez puisque vous êtes là.» Et tout se passa très bien.
A partir de là, j'ai lu Sartre en me détachant d