(envoyé spécial à Moscou)
A Moscou, beaucoup d'intellectuels n'apprécient guère Dmitri Bykov. Enorme, barbu, provocateur, le morse aiguise ses défenses à l'aide d'articles méchants et drôles dans son hebdomadaire, Sobessednik («Interlocuteur»). Il s'y moque des écrivains en place, du stalinisme rampant, du fantasme polymorphe nationaliste de la «russité». «Il met le feu au champ et regarde comment ça brûle», persifle un auteur qu'il a traité de médiocre. Tant d'ennemis semblent réjouir ce citron joyeux : «Ma femme dit qu'il existe trois Dmitri, s'amuse-t-il. C'est possible. Pourtant, je m'en veux de ne pas écrire davantage.»
A la télé, il apparaît deux fois par semaine dans une émission grand public qui évoque les questions de société en aidant les gens à résoudre des problèmes pratiques ou administratifs, toujours nombreux ici. Une minorité sait qu'il est également et surtout écrivain. Il a publié cinq recueils de poèmes et, en 2001, ce premier et troublant roman : La justification.
L'histoire se déroule en trois époques : 1938, 1948, aujourd'hui. Il est d'abord question de quelques hommes arrêtés, torturés et exécutés comme tant d'autres sans raison précise, au moment des grandes purges de 1938-39. Parmi eux, l'écrivain Isaac Babel et le grand-père du personnage central, le jeune historien Rogov. Résistant à la torture, ils n'auraient jamais avoué. Le Léviathan stalinien aurait alors décidé de les envoyer dans un camp d'entraînement spécial en Sibérie, près d'un village n