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Libération
Critique

L'oeil de Bouïda

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Dans les décombres de l¹Empire soviétique, errent les personnages shakespeariens de Iouri Bouïda.
publié le 17 mars 2005 à 1h01

Moscou envoyé spécial

Hamlet vous attend sous la neige tourbillonnante par un matin glacé de février dans un faubourg de Moscou. Il a cinquante ans. On dirait un survivant aimable, ascétique et sincère. Il a survécu à la mort du père, aux remords, à l'Empire, aux vengeances impossibles. Il est grand, maigre, porte une casquette lui donnant un air de Sherlock Holmes. Hamlet n'est plus danois, mais russe. «Le pays est si vaste, écrit-il, qu'ici les mots et les pensées n'ont aucun sens. Son histoire non plus, d'ailleurs.» Le soir, il lit régulièrement Shakespeare en anglais. Il a essayé de le traduire dans sa jeunesse, comme Pasternak. Hier soir encore, il s'y baignait dans son appartement sans luxe, près du chat. Il révère aussi Voyage au bout de la nuit, découvert à 40 ans ; mais, comme le roman de Céline est mal traduit, il l'a relu en français, une langue qu'il ne parle pas, chaque jour pendant huit mois. Hamlet a changé de royaume et d'identité.

Il s'appelle désormais Iouri Bouïda. Comme la plupart des écrivains russes, il ne vit pas de ses livres : il est rewriter au journal Kommerzant. En France, il publie un recueil de nouvelles exceptionnelles qu'il a portées pendant vingt ans : la Fiancée prussienne. C'était son premier livre. En Russie, il est paru voilà sept ans. L'édition originale compte trois fois plus de textes. On ne la trouve plus dans aucune librairie. Ensuite, Bouïda a écrit deux romans ­ disponibles chez Gallimard.

Le Train zéro a été publié en Russie dans une