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Libération
Critique

Canetti, testament à l'anglaise.

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T. S. Eliot, Iris Murdoch et Thatcher : portraits au vitriol posthumes.
publié le 7 avril 2005 à 1h35

Des intellectuels de renom, des Ecossais dans leur château, des membres de la plus haute société, des mythologues et des sinologues, des spécialistes mondiaux du rhododendron, et un balayeur : Elias Canetti regrettait d'avoir étudié un spectre social limité, durant les quelque trente années qu'il avait passées en Angleterre à partir de 1939, sans compter les deux années cruciales quand il était enfant, au terme de quoi son père était mort. Les Années anglaises, prolongement de son autobiographie, répond cependant à une ambition supérieure : faire émerger, à partir des souvenirs et de l'amour d'une langue, la physionomie d'un pays. Il s'agit de fragments posthumes (né en 1905, le prix Nobel de littérature 1981 est mort en 1994), ils rayonnent d'une charge si phénoménale de méchanceté et d'intelligence qu'ils souffrent une ou deux redites, et quelques portraits restés à l'état d'ébauche.

Le balayeur de rues est le héros du séjour à Chesham Bois, localité des Chilterns où Canetti et Veza, son épouse, sont évacués pendant la guerre : «Il était le seul que j'aimais de tout mon coeur. Un jour où l'on avait appris les choses les plus effroyables, en détail cette fois et de manière irréfutable, il fit deux pas dans ma direction, ce qui ne s'était encore jamais produit, et déclara : "J'ai de la peine pour vous, pour ce qui arrive maintenant à vos semblables", "your people", dit-il, et il ajouta : "Ce sont aussi mes semblables."» Les Canetti, juifs de Vienne, n'ont rencontré aucun anti