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Critique

Donner sa langue au peuple

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Avec Céline en fil rouge, Philippe Roussin raconte les rapports, lourds de conséquences historiques, entre littérature et langage populaire au XXe siècle.
publié le 14 avril 2005 à 1h46
(mis à jour le 14 avril 2005 à 1h46)

L'écrivain ? Oiseau rare et strident. Mais quelle est sa place dans la volière démocratique ? Son perchoir ? Quels rapports sa langue entretient-elle avec la langue commune, celle qu'on parle ? En résumé, quelle est sa légitimité ? Sa justification ? Pour réfléchir à ces questions perturbantes, et à quelques autres, Philippe Roussin, chercheur au CNRS, est entré dans la cage et il a fermé la porte «pendant quatre ans».

Quatre ans ? Beaucoup plus, évidemment. Une vie entière de lectures défile dans cet ouvrage pachydermique saturé de longues citations, parfois en anglais. Il a le mérite d'échapper à toutes les formes, de ne ressembler à rien, sinon à un Transsibérien de la prose, une sorte d'érudit train fantôme autour duquel tous les fantasmes de la littérature du siècle passé jailliraient du noir. Peu à peu, les wagons intellectuels de l'entre-deux-guerres s'y rattachent : écrivains, philosophes, anthropologues, sociologues, chacun apporte son éclairage et son parti pris à l'itinéraire chaotique du langage. Il fut en ces années-là soumis comme jamais aux pressions de la démocratie de masse et aux coups du totalitarisme ; il l'est toujours : le livre de Roussin renvoie à la situation littéraire actuelle. Il décrit non pas le partage des eaux, mais celui de la langue. Il a quelque chose de démesuré, mais aussi de fragile : on a souvent l'impression qu'il a été menacé par son propre sujet et qu'il aurait pu ne jamais finir ou ne pas exister.

La locomotive du convoi est conduite