Par exemple, si vous avez tenu votre journal intime pendant des années, ou si vous avez gardé toutes les cassettes de votre répondeur téléphonique et que vous y revenez des lustres plus tard, ça fait ça. Il y a des voix complètement disparues, des intentions inabouties, incompréhensibles, des trous dans le plein, puisqu'on ne se rappelle pas ce qu'on a bien pu faire ce jour-là, à qui appartient cette phrase, de quoi il était question. Un autre phénomène, avec l'âge, c'est l'impression que le monde se feuillette. Enfin, non, ce n'est pas une impression, car le monde lui-même (c'est-à-dire notre rapport au monde) change de consistance, de texture, file entre les doigts. Hubert Lucot, du haut de ses 70 ans, est assez bien placé pour en parler : «Dans mon enfance, et en 1960, l'herbe mouillée, l'herbe froide étaient plus intenses qu'aujourd'hui ; elles le sont dans mon souvenir en général, alors que la mémoire devrait les atténuer : parce que mes sens n'étaient pas saturés ? Enfant, je RENTRAIS EN FORCE dans le monde ; vert-noir et froid transparent s'élevaient au ciel : percevoir la pluie depuis la protection de la grange.» Il y a aussi, en vieillissant, que les générations suivantes vous semblent rouler dans un couloir spatio-temporel incommunicable : «Fils d'un autre monde, un quinquagénaire à blouson de toile et bonnet de laine me double.» Et puis, mais on ne voudrait pas gâcher la surprise aux plus petits de nos lecteurs, quand on a fini d'être jeune, les amis et amours qu'
Critique
Lucot motive
Article réservé aux abonnés
par Eric Loret
publié le 14 avril 2005 à 1h46
Dans la même rubrique