Ce fut la tragédie d'un homme laissé seul, sacrifié à la raison d'Etat par ses propres camarades de parti et par l'écrasante majorité d'une classe politique, notamment communiste, qui l'avait jusque-là adulé. L'enlèvement puis l'exécution d'Aldo Moro au printemps 1978 par les Brigades rouges avaient bouleversé les Italiens comme les opinions occidentales. Etrangement jamais publiées jusqu'ici en français, les lettres écrites par le président de la Démocratie chrétienne italienne pendant ses cinquante-cinq jours de détention dans un appartement romain devenu «prison du peuple» représentent un extraordinaire document humain mais aussi politique et même littéraire.
«Si vous n'intervenez pas, une page terrifiante de l'histoire italienne sera écrite. Mon sang retomberait sur vous, sur le parti, sur le pays...», écrit le prisonnier à Benigno Zaccagnini, secrétaire général de la Démocratie chrétienne et son ami de toujours, comme lui partisan de l'ouverture vers les communistes. Otage de terroristes convaincus d'avoir ainsi «frappé au coeur de l'Etat» et se sachant condamné par la ligne de la fermeté appliquée aussi par la DC que par le Parti communiste, il tente par ses lettres en tout au nombre de 95 de bloquer cet engrenage. Catholique fervent, Aldo Moro a toujours été un homme de compromis. Le refus de toute négociation avec les terroristes, de tout échange, lui semble aussi monstrueux qu'incompréhensible. L'Italie n'a-t-elle pas fait déjà de tels arrangements avec des terro