La guerre d'Algérie vue au ras des djebels, mais par un (futur) grand historien. C'est tout le bonheur de lecture des Carnets d'Algérie qu'Antoine Prost publie quarante-cinq ans après les avoir écrits, jour après jour, de janvier à septembre 1960. «Aujourd'hui (lundi 27.6.60) : le major est saoul ; une grenade à Bou Saada : un mort, cinq blessés.» Antoine Prost est alors sous-lieutenant au 5e bataillon de tirailleurs algériens. Normalien, catholique de gauche, il effectue à vingt-six ans, marié et déjà père de famille son service militaire comme officier dans l'armée de terre. De la troupe qui lui est confiée, il avoue : «Je ne soupçonnais même pas qu'elle puisse exister. Dans la section que je commanderai, il n'y a que trois Européens. Tous les autres, y compris le sous-officier adjoint, étaient des FSNA (Français de souche nord-africaine, ndlr) et causaient entre eux en arabe au bivouac.» Des Algériens combattent d'autres Algériens. A Bou Saada, aux confins de l'Atlas saharien, la guerre est une affaire moins simple qu'il n'y paraît depuis la rue d'Ulm.
Il observe et raconte sur la page droite de carnets à spirale. Il commente, rarement, sur la page gauche et toujours avec une grande sobriété. Page de droite : «Vendredi 18.3.60. Là, je vois le mort. Le premier fellagha tué. Il est étendu sur le dos, raide, jambes et bras légèrement écartés. On a enlevé sa veste et sa chemise. Le torse bronzé, lisse, porte des traces de sang caillé. Plusieurs balles.» Page de gauche : «O