Menu
Libération

Foutaises

Article réservé aux abonnés
publié le 2 juin 2005 à 2h26

Ecrire des conneries est assez aisé. C'est pourquoi on en lit tant. Des petites, des grosses, des énormes conneries. Il y en a partout, c'est un nuage de sauterelles obèses, un troupeau d'éléphants voraces. «Un des traits les plus saillants de notre culture est l'abondance de conneries. Tout le monde le sait. Chacun y prend sa part», écrit Harry Frankfurt, professeur de philo à Princeton, dans un court ouvrage titré On Bullshit. En VF : «De la connerie», au sens de foutaises. Ce territoire-là restait vierge de tout essai philosophique. On avait disserté sur le vrai et le faux, il restait à penser le n'importe quoi. Frankfurt l'a fait brillamment, si bien que son livre vient de se tailler un joli succès aux Etats-Unis, s'écoulant à plus de 175 000 exemplaires en quelques mois. Pour un ouvrage des Princeton University Press, la performance est remarquable.

C'est rien moins qu'une théorie de la foutaise que nous propose Frankfurt. Il parvient en 67 pages à définir ce qu'est une foutaise, et même à préciser en quoi elle se distingue de ce qui n'en est pas. Tout le monde dit et écrit des conneries, mais savons-nous comment et pourquoi ? D'abord, il faut veiller à ne pas confondre mensonges et foutaises. Le menteur, analyse Frankfurt, entretient un rapport direct avec la vérité : s'il essaie de la cacher, c'est bien parce qu'il la connaît. Le bullshiter (celui qui raconte des conneries) évolue, lui, dans un espace sans contraintes où les seules limites sont celles de son imaginatio