En France, on ne connaît pas le poète espagnol Juan Ramón Jiménez. C'est comme si Verlaine était ignoré en Espagne. D'ailleurs, il l'est peut-être. Vivants ou morts, les poètes circulent mal. Aux frontières, les douaniers sont sourds à leur musique, née du silence et de la sensibilité. Mais les éditions Corti continuent de faire passer Jiménez chez nous à dos de mulet. Elles ont déjà publié, entre autres, Fleuves qui s'en vont, Eternités, et surtout Espace, trois de ses grands livres. Elles publient aujourd'hui un huitième ouvrage du poète. Beauté est imprimé à Madrid en 1923, en même temps qu'un autre recueil intitulé Poésie. C'est une anthologie effectuée par l'auteur. Il a 42 ans. Il a déjà beaucoup écrit. Il ne publiera plus d'autres livres de poèmes avant 1946.
Juan Ramón Jiménez ne devrait pas être lu parce qu'il obtint le prix Nobel de littérature en 1956, deux ans avant sa mort ; mais, d'abord, parce qu'au début du siècle passé, il marqua la poésie de langue espagnole. Elle était devenue bavarde, superficielle : du stuc et de la crème fouettée, comme si le pays en déclin n'avait plus même de quoi nourrir son propre imaginaire. Avec quelques autres poètes (souvent latino-américains), Juan Ramón Jiménez la simplifia et la concentra : ce fut le «modernisme». Il fit entrer dans ses mots le nerf à nu de la sensation et son éternité : «L'odeur d'une fleur nous rend maîtres,/ pour un instant, du destin.» Ou encore : «Ma peine, avec ta compassion,/ me semble un acacia/jaune,