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Libération
Critique

«Paris-sur-Hudson»

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Les intellectuels français exilés à New York pendant la Seconde Guerre mondiale.
publié le 9 juin 2005 à 2h32

En regardant le Pacifique, du côté de Malibu ou de Santa Monica, Theodor Adorno faisait mine de lancer une bouteille à la mer, où il aurait enfermé toute la philosophie. Cela amusait Charlie Chaplin, Max Horkheimer ou Thomas Mann, moins, peut-être Brecht, Peter Lorre ou Arnold Schönberg. Horkheimer et Adorno retourneront dans leur pays, Erich Fromm, Herbert Marcuse, Wilhelm Reich, Leo Strauss, Hannah Arendt, entre autres, demeureront aux Etats-Unis. On a tout écrit sur le travail théorique et la vie que menaient outre-Atlantique les intellectuels qui, à partir de 1933, avaient fui l'Allemagne. Beaucoup moins connue est l'histoire des écrivains, artistes et chercheurs qui, durant la guerre, quittent la France. Cela se comprend : l'émigration allemande est un «fait historique», touchant toute une génération d'intellectuels juifs contraints par le nazisme à fuir coûte que coûte, quand l'émigration française se réduit à un ensemble d'itinéraires singuliers. «C'est un genre d'aristocratie qui se rendit à New York au cours de la guerre», des «émigrés de luxe», dont le magazine Fortune, les opposant aux «pèlerins du XVIIe siècle (qui) vinrent ici faire fortune», dit qu'ils sont «venus pour protéger la leur». Le jugement, sévère, pourrait certes être tempéré : n'étant pas pris dans une «communauté de destin», les émigrés de 1940 ont chacun leurs motivations personnelles, s'inscrivant sur un spectre très large, depuis un probable «courage, fuyons», jusqu'à une réelle opposition à la