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Libération
Critique

L'épopée russe.

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Wolfgang Büscher parcourt à pied l'immensité de l'ex-Empire soviétique. Il exhume, chemin faisant, l'héritage impossible de «la grande fosse à histoires».
publié le 23 juin 2005 à 2h43

A sa sortie de l'infirmerie du camp de Buna-Monowitz, en février 1945, Primo Levi rencontre dans le train un Grec de Salonique. Le train tombe en panne. Il gèle à mort. Les deux rescapés décident de marcher. Au pays des survivants, une odyssée commence. Ils vont vers l'Est. Le Grec voit que les chaussures de son compagnon sont en pièces. Il lui dit avec mépris : «Celui qui n'a pas de chaussures est un sot.»

En 2001, celles de l'Allemand Wolfgang Büscher semblent solides. Il a 50 ans. Il parle russe. Son sac à dos est trop plein, évidemment ; mais il le vide dès la première étape. Deux chemises, deux paires de chaussettes, un pull-over, des chèques, un livre de Tchouang-Tseu, une polaire, et en route pour l'Est. On est toujours trop lourd quand on s'en va.

Il quitte Berlin à pied un chaud matin de juin. L'objectif, c'est Moscou. Il parvient dans la capitale russe trois mois plus tard, au début de l'hiver (l'automne, en Russie, dure un déjeuner de printemps). Son visage est tanné. Il a maigri. C'est un vagabond à qui les mètres servent de «rosaire». Il embrasse le panneau Moscou en criant sous la pluie, le long de la route bordée d'immeubles et de grandes surfaces. Entre-temps, il a traversé la Pologne, la Biélorussie et la partie ouest de l' «immensité russe». Des forêts, des champs, des marais, des routes droites et sans fin. Des villages pauvres, aussi. Et de petites villes atroces, où il faut chercher l'hôtel, le bar, le restaurant. Il est passé par Katyn, entre dans le péri