Si la bouche était une ouvrière, elle aurait la médaille du travail. Oh, certes, la main aussi la mériterait, qui n'arrête pas de s'agiter, prend, lâche, agrippe, frappe, caresse, gratte, et parle à l'occasion. Mais la bouche est une ouvrière plus qualifiée, un contremaître, qui signale la vie par le premier cri et la mort par le dernier soupir, aspire, mastique, salive, crache, murmure, crie, mange et boit à la fois, mêle et fait fondre les aliments, démêle et fait résonner les phonèmes, en veillant à ne pas tout faire en même temps, et à ce qu'aucune arête, ni aucun mot, ne reste dans la gorge. Et puis elle doit baiser, ce qui ne se fait pas, sauf exception, la bouche pleine. Aujourd'hui elle a un peu de mal à le dire, qu'elle baise, car on la mécomprend et on la soupçonne de cochonneries : alors, pour lever l'équivoque, soit elle lâche le verbe pour le nom, accompagné de «un» ou de «mille», soit elle fait des poutous, des bises et bisous. Toujours est-il que, quand elle se colle à une autre bouche, elle met en jeu plus ou moins, selon l'application ou le sentiment «29 muscles, dont 17 pour la langue, 9 milligrammes d'eau, 0,18 de substances organiques, 0,7 de matières grasses, 0,45 de sel, des centaines de bactéries et des millions de germes !». Rien que pour les baisers qu'elle donne, la bouche a donc droit aux honneurs.
Mais qui embrasse-t-on, comment, pourquoi ? Ces questions, légères, ont déjà mobilisé bien des énergies. Au XVIIe siècle, l'historien allemand Martin