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Libération
Critique

Les papas perdus.

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Un premier roman loufoque sur la morale et l'ordre.
publié le 15 septembre 2005 à 3h41

«J'oubliais souvent mon père au jardin municipal. Des semaines entières, assis sur un banc face aux toboggans et aux balançoires, il attendait, sans trop désespérer, que je vienne le chercher.» Cela pourrait être un fait divers. On en a vu, des familles d'ataviques qui relèguent leur père (leur frère, leur fille, leur mère) handicapé au fond de la cave, ou dans la cabane à outils. Mais là, le père n'est pas handicapé, c'est seulement son fils qui est indigne, incapable de rien comprendre à ses manies, à son existence, de recueillir son enseignement.

En cent pages dépourvues de matière grasse, sans une ligne d'ennui, Philippe Garnier filme un cauchemar drolatique, un ralenti vaguement beckettien, où la mécanique se plaque sur un être vivant qu'on pose comme un objet à côté du téléphone, dont on retourne la chaise, qu'on enferme, ou qu'on va coucher dans un hôtel au bout d'un train, pour ne le revenir chercher qu'à l'automne. C'est la pantomime d'un corps en voie de mort, un rituel de disparition où il n'est question que de momies, de somnambules et de faire la grève. Le père semble ne s'occuper qu'à polir son futur cadavre, à faire des économies de vie, inventant par exemple «une nouvelle langue qui n'usait pas les dents, une langue presque uniquement composée de voyelles légèrement fermées». Il apprend aussi tous les matins le journal par coeur, puis le plie et le replie jusqu'à ce qu'il ait «le format d'un livre de poche». Il relit ensuite les bribes qui subsistent de son pl