Bagdad, Irak: la Ville Ronde. Le palais du calife était en son centre. Abu Ja'far al-Mansûr, «celui à qui Dieu a accordé la victoire», avait voulu qu'il fût à égale distance de toutes les sections de la cité. Proche de Ctésiphon, la capitale sassanide, le site de Bagdad rappelait à lui seul que le nouveau pouvoir venait succéder aux empires perses d'autrefois. La légende rapportait que quelques-unes des portes de la ville «avaient été utilisées par le Salomon de la Bible», puis, à la fondation de Wâsit, par le gouverneur ommeyade al-Hajjâj Ibn Yûsuf. L'une d'elles, disait-on, venait de Syrie, et avait été fabriquée pour les Pharaons. La forme circulaire évoquait aussi des références à la géométrie d'Euclide et, plus encore, une signification cosmique et astrale. Mais l'essentiel était que Bagdag ait un sens «pour tous», «pour les gens imprégnés de la culture sassanide», comme «pour les gens du Livre, juifs et chrétiens, ainsi que pour les Egyptiens et pour les Omeyyades». Dès lors Al-Mansûr non seulement pouvait faire de la Ville Ronde le symbole de son «autorité indiscutable» et de son rayonnement, mais également désigner«la dynastie abbasside comme l'héritière du riche passé du Proche-Orient avec sa mosaïque de peuples, de religions et de traditions».
Professeur de langue et littérature arabe à l'université de Yale, Dimitri Gutas est l'auteur d'un ouvrage tout à fait remarquable, Pensée grecque, culture arabe, qui, dès sa parution aux Etats-Unis en 1998, a suscité, non pas