Un éditeur est un homme dont le catalogue signe la vie. Samuel Brussell avait 36 ans lorsqu'il a commencé le sien, en 1992, avec les éditions Anatolia. On y trouve des textes de Brodsky, Auden, Vita Sackville-West, Mark Twain, Sergueï Dovlatov, Boswell, Naipaul, Evelyn et Auberon Waugh, Max Rouquette, Joseph Roth, D.H. Lawrence, Ivan Klima, William Cliff, des Portugais et des Espagnols à l'humour exaspéré. Ces livres sont publiés sans notes, sans lexique, avec un enthousiasme négligent et désargenté. L'ensemble fait de Brussell une personnalité originale du monde éditorial français : leur cohérence décalée reflète l'itinéraire d'un vagabond européen, d'un homme qui dès l'adolescence a chevauché quelques vaches, enragées et enchantées, d'un bout à l'autre du continent.
Ce furet éditorial est passé par Nice, Paris, Londres, Bruxelles, New York, Montréal, Naples, Prague, Madrid, Montpellier, Bucarest et la Suisse. Souvent pauvre, il vit dans des chambres de bonne, des studios, dans une sorte de remise en Suisse. Les librairies sont ses donjons ; les bars et les rues, ses champs de coups de foudre : Brussell va de fuites en impulsions. Il aborde ainsi sans le savoir, dans la nuit de Montpellier, la petite-fille du poète Jules Laforgue. Partout, il connaît le bonheur «d'infecter une ville» ; de toutes, il parle bien. A Bruxelles, où il vit désormais comme au coeur de son propre nom, «on embrasse les frontières du bout des doigts». New York le marque d'abord par son ancienneté : el